Du 7 au 9 novembre se tenait à Paris la première séance du nouveau Conseil européen du Réseau international de Justice Fiscal (Tax Tustice Network, TJN), réseau dans lequel ATTAC Suisse est membre. Les priorités pour l’année prochaine seront les campagnes suivantes : Normes comptables de l’Union Européenne, Private Equity, Perception de la corruption, Code de conduite en matière de fiscalité en Union européenne, Code de conduite sur niveau des Nations Unies, Influencer l’Agenda de Monterrey +6 à Doha l’année prochaine ou les gouvernements feront un premier bilan des Objectifs du Millénaire.
En fur et en mesure je vous présenterai ici en détail ces différents chantiers. L’article ci-dessous se penchera sur les enjeux des normes comptables pour les entreprises multinationales. La question fondamentale est de savoir si les entreprises seront obligées de montrer dans leur comptabilité où elles font du business, avec qui, pour combien et où ils ont payer leurs impôts et à quel gouvernement. Pour être clair : On parle ici de centaines de milliards de francs que des normes simples de transparence pourraient mobiliser pour les pays en voie de développement. Plusieurs fois le montant totale de l’aide au développement. Argent qui en ce moment se perd dans les réseaux financiers secrets des grandes multinationales qui se tissent d’un paradis fiscal à l’autre.
Un premier pas a été fait la semaine passée (voir article) et personne, et certainement pas les médias, s’en est rendu compte.
La bataille des normes comptables
Le 14 novembre dernier, le Parlement européen a voté une résolution dont les conséquences sur la transparence des comptes des multinationales et leurs relations aux Etats et aux citoyens du monde entier sont considérables.Cette résolution concerne les normes comptables proposées par l’IASB (International Accounting Standards Board), une organisation privée, basée à Londres, enregistrée dans l’Etat américain du Delaware – un quasi paradis fiscal – et financée par les grands cabinets d’audit internationaux et quelques unes des plus puissantes multinationales. Incapables de s’entendre sur un standard comptable commun, les pays européens ont décidé il y a quelques années d’adopter les normes proposées par l’IASB : depuis janvier 2005, toutes les entreprises européennes cotées en Bourse doivent s’y conformer.
Néanmoins, le contenu de certaines normes fait encore l’objet de négociations, notamment parce que les Etats-Unis ont décidé de ne pas les adopter. Un processus de convergence des normes comptables est actuellement engagé qui vise à rapprocher normes européennes et américaines dans l’intention d’aboutir à des normes véritablement harmonisées et permettant de mieux comparer les situations des entreprises à travers le monde. Un objectif tout à fait louable : les différences entre normes comptables permettent souvent aux entreprises de les exploiter à leur avantage. Mais, en fait de « convergence », le mouvement se fait plutôt à sens unique : les normes européennes, plus strictes en termes de transparence des comptes, sont en train d’être abandonnées au profit de normes américaines plus conciliantes (que l’on se rappelle Enron ou bien la crise des crédits immobiliers subprime dont on n’a pas encore fini de sentir les effets).
La résolution approuvée par le Parlement européen concerne la norme comptable « IFRS 8 » qui régit la façon dont les entreprises découpent géographiquement leur reporting comptable. Selon cette norme, une entreprise installée par exemple dans une dizaine de pays africains peut choisir de communiquer un seul chiffre de bénéfices pour l’ensemble « Afrique ». Les pays dans lesquels elle est installée ne peuvent plus alors connaître les résultats de l’activité de cette firme sur leur propre sol. Agrémentez cette opacité de quelques bons conseillers comptables et de l’utilisation des paradis fiscaux et vous avez là tous les ingrédients permettant aux multinationales de contourner les fiscs des pays, riches ou pauvres, dans lesquels elles opèrent.
Un groupe d’investisseurs financiers pesant près de 40 % de la Bourse de Londres ont récemment indiqué qu’ils n’aiment pas cette norme IFRS 8. Ils s’inquiètent de la qualité de l’information qui leur est fournie et réclament plus de fiabilité et de précision. La seule façon de les obtenir consiste en un reporting comptable pays par pays. Une coalition d’ONG regroupées sous la bannière Publish what you pay (Rendez public ce que vous payez) s’est mobilisée pour la promotion de ce principe pour les entreprises du secteur énergétique afin d’accroître la transparence des revenus pétroliers dans des pays comme le Nigeria ou le Kazakhstan. Elle a été rejointe par le Tax Justice Network qui plaide de son côté pour que ce même principe soit appliqué à toutes les entreprises.
Le Parlement européen vient également de se saisir du sujet. Les élus de son comité des affaires économiques et monétaires sont devenus furieux lorsque, abordant le sujet, l’IASB a insinué que le Parlement n’avait pas le droit de toucher à son travail. Dans une réunion du 6 novembre dernier, le comité a décidé tout à la fois d’approuver l’utilisation de la norme IFRS 8 mais et d’assortir son utilisation d’une longue liste de conditions contraignantes tout en réclamant le développement d’une norme fondée sur le principe du reporting comptable pays par pays, demande étant faite à la Commission européenne de tenir le Parlement informé de ses négociations sur le sujet avec l’IASB dans les 6 mois qui viennent. Le vote du 14 a entériné ces décisions.
Un sacré défi pour l’IASB qui se voit contraint de prendre en compte les demandes d’un parlement lui demandant de changer ses méthodes et de produire des normes qui servent les intérêts de la société plutôt que celui des sociétés. Ce combat ne fait que commencer. Ses implications pour la démocratie, la lutte contre la pauvreté et contre la corruption dans le monde sont considérables. Il mérite d’être soutenu le plus largement.